La Rédaction de séminariste.cd est allée à la rencontre du Professeur Augustin Mbangala Mapapa afin de solliciter une interview en rapport avec les dernières mesures du gouvernement concernant la détérioration du pouvoir d’achat de la population en RDC. Ci-dessous l’intégralité de cet entretien.
Séminariste.cd: Bonjour Professeur Augustin Mbangala Mapapa. Je rappelle que vous êtes Professeur d’économie et de gestion, Expert-comptable agrée ONEC-RDC et ancien Directeur Général de l’Institut Supérieur de Commerce/Gombe.
Quelle lecture faites-vous des mesures prises par le gouvernement de la RDC face à la détérioration du pouvoir d’achat du panier de la ménagère avec effet immédiat annoncées ce 12 août 2024 à Kinshasa par le Professeur Daniel Mukoko Samba, vice-premier ministre, ministre de l’économie ?
Professeur Augustin Mbangala Mapapa: Avant d’y répondre, rappelons très rapidement ces mesures. Le gouvernement de la RDC a adopté certaines mesures à savoir la réduction des droits de douane, la suppression de certains prélèvements, l’exonération de la TVA sur 9 produits importés (sucre, maïs, lait en poudre, farine,
huile végétale, riz, poissons, viande et volailles) ainsi que la lutte contre les barrières
routières illicites, etc.
Nous saluons les mesures fiscales et parafiscales adoptées par le gouvernement pour protéger le panier de la ménagère en utilisant des outils de l’économie néo-classique. Les solutions d’allègements fiscaux prises par le gouvernement congolais facilitent la tâche aux opérateurs économiques et contribuent à réduire significativement le prix des produits importés. L’efficacité de ces mesures sera ressentie particulièrement en décembre pour permettre à toutes les familles de passer agréablement les fêtes de Noël et de Nouvel an. Dans une certaine mesure, elles participent à stimuler l’économie à court terme particulièrement mais ne contribuent certainement pas à juguler les vrais causes qui plombent le pouvoir d’achat des congolais car :
- ces mesures constituent des solutions conjoncturelles qui ne peuvent pas résoudre de manière pérenne, la baisse du pouvoir d’achat qui est un problème structurel en RDC. En langage médical, on peut dire qu’on ne soigne pas une infection qui engendre la fièvre en administrant uniquement un paracétamol. Il faut dans le cas d’espèce, soigner l’infection.
- la hausse des prix est généralisée à presque tous les produits alimentaires pas seulement ceux qui sont importés, même les produits locaux sont concernés. A titre d’exemple, on peut citer le crédit (unité) de téléphone mobile, le sac de cossette de manioc, la botte de légume, les feuilles de manioc, les oignons, le savon le coq, le sac de charbon (makala), l’huile de palme (mafuta mbila), poissons séchés, etc. alors que les mesures gouvernementales ne concernent, pour la plupart, que des produits importés ;
- ces mesures ont un impact négatif important sur le budget de l’État. Est-ce que le gouvernement a évalué le montant global de manque à gagner sur les recettes publiques ? Quelles sont les mesures prises pour que ces recettes ne baissent pas ?
- cette décision du gouvernement est favorable aux opérateurs économiques car elles contribuent à réduire le prix de revient des produits importés mais rien n’indique que ces opérateurs économiques, en l’absence des statistiques
économiques et financières et de contrôle efficace, vont réduire à la même proportion le prix de vente des produits importés ;
Depuis plusieurs années en RDC, l’évolution des prix des produits de consommation demeure toujours et de loin supérieure à l’évolution des revenus des ménages provoquant ainsi la détérioration du pouvoir d’achat particulièrement des « gagnes petits ». En d’autres termes, le taux d’inflation annuel est toujours de loin supérieur au taux d’indexation des revenus primaires. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’inflation mais d’un véritable problème d’hygiène économique auquel la RDC fait face.
Au banc des accusés, le comportement égoïste des dirigeants politiques congolais qui sont très gloutons, avec des institutions qui, à elles seules, consomment près du tiers du budget pour satisfaire leurs propres besoins et ceux de leurs familles provoquant ainsi une mauvaise répartition de la richesse créée. A cela, il convient d’ajouter la dollarisation à outrance de l’économie congolaise. En effet, près de 90 % des avoirs détenus par des banques sont en dollars. L’économie congolaise est telle que le dollar constitue la référence des prix et de paiement alors que le salarié est rémunéré en franc congolais. Dans un tel contexte, ce sont les petits revenus qui sont fragilisés devant une montée des prix. Enfin, la responsabilité du gouvernement est grande lorsqu’il cherche à combler le déficit budgétaire en créant de la monnaie fiduciaire sans aucune contrepartie en termes de production.
Ne pas s’attaquer aux causes profondes de dépréciation sans cesse croissante du franc congolais face au dollar américain et de l’inflation galopante qui s’y installe ne garantit pas la maîtrise de la situation, bien au contraire, il y a risque d’une chute vertigineuse du franc congolais à moyen et long termes. En effet, les instruments mis en place, comme solutions pour freiner l’élan de la dépréciation de franc congolais sont des feux de pailles. Elles peuvent fonctionner à très court terme . Si l’on veut résoudre le problème de manière pérenne, les gouvernants doivent s’attaquer aux causes profondes de la crise car les remèdes existent et exigent du courage et des réformes.
Pour retrouver le chemin d’une croissance économique inclusive, des réformes structurelles courageuses doivent être entreprises.
Les produits vivriers tels que le manioc, le maïs, les oignons pour ne citer que ceux-là pourrissent à l’intérieur du pays faute de disposer d’infrastructures routières (nationale et de desserte agricole) et fluviales adéquates.
Les gouvernants doivent créer des conditions incitatives devant relancer la production agricole vivrière des produits de consommation locale telle que le manioc et le maïs ainsi que la pêche. La RDC dispose des terres arables devant lui permettre de cultiver toute l’année sans recourir à l’irrigation. Les poissons meurent dans nos fleuve, lacs et rivières de leur vieillesse.
Seminariste.cd: Au regard de tout ce que vous avez dit, que doit réellement faire l’Etat en vue d’une panacée sociale durable?
Professeur Augustin Mbangala Mapapa: Asseoir, à moyen et long terme, une véritable politique de dédollarisation de l’économie qui contribuera à restaurer la confiance dans la monnaie locale. L’autorité
monétaire doit mener une lutte contre la spéculation sur le marché de change en préconisant notamment la poursuite du suivi du facteur de liquidité ;
Soutenir la monnaie locale en prenant des mesures incitatives et des dispositifs devant encourager les producteurs locaux notamment les PMEs de sous-traitance susceptibles de redynamiser les échanges domestiques.
L’État congolais doit avoir le courage d’indexer le salaire des fonctionnaires et de rehausser le niveau du salaire minimum garanti en tenant compte de la réalité socio-économique même si cela peut impacter négativement la compétitivité des entreprises industrielles. Du fait de l’augmentation de salaire, la propension marginale à consommer des ménages doit, à coup sûr, augmenter en ayant un effet multiplicateur sur le revenu national. Ce faisant, cet accroissement de richesse pourrait être bénéfique à compenser le manque à gagner dû aux mesures économiques adoptées.
Maîtriser la gestion budgétaire en assurant un encadrement efficace des dépenses publiques en améliorant la qualité des dépenses publiques, gage majeur de la stabilité macroéconomique et de la croissance économique inclusive ;
Le patronat congolais (Fédération des Entreprises Congolaises) a un rôle majeur à jouer. Tout en protégeant l’investissement direct étranger et local, il doit se mettre au service de la nation pour l’intérêt de la société ;
L’indépendance institutionnelle et fonctionnelle de la BCC doit lui permettre de disposer des marges de manœuvre et des moyens devant lui permettre de remplir ses missions en toute liberté.
Propos recueillis par Guylain Boba