Le Ministre d’État, de la Justice et Garde des Sceaux de la RDC, Constant Mutamba, est au cœur d’une affaire de détournements de fonds. Plusieurs zones d’ombre subsistent entourant l’attribution d’un marché public de 29 millions de dollars à une société chargée de construire une prison à Kisangani, dans la province de la Tshopo.
Le Procureur Général près la Cour de Cassation, Firmin Mvonde, a sollicité, le lundi dernier, une autorisation à l’Assemblée Nationale, pour engager des poursuites contre le Ministre d’État, de la Justice et Garde sceaux, Constant Mutamba, pour des soupçons de détournement.
Comme dans un jeu de ping-pong, de son côté, le Ministre de la Justice dit récuser le Procureur Général près la Cour de Cassation ainsi que les magistrats de son office ce, à travers une correspondance lui adressée le mardi 10 juin dernier.
Cette démarche de récusation introduite par Constant Mutamba à l’encontre du Procureur ainsi que d’autres magistrats du parquet fait réagir dans les milieux judiciaires.
Pour mieux comprendre les implications juridiques de cette démarche, notre rédaction de séminariste.cd a interrogé Maître Séverin WALISINGA, avocat au barreau près la Cour d’Appel du Maniema.
Une action personnelle menée sous couvert d’une fonction ministérielle ?
« Bien que le Ministre Mutamba agisse en tant que membre du gouvernement, il reste personnellement mis en cause dans cette procédure. Or, une demande de récusation ne peut être introduite que par la personne directement concernée, et non au nom de ses fonctions publiques », explique Me Walisinga. Il estime que l’usage de la qualité ministérielle dans une affaire d’ordre personnel soulève une première faille d’ordre procédural.
Une mauvaise application de l’article 59 de la loi organique ?
Au cœur de la requête du Ministre, l’article 59 de la loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013, qui encadre les cas de récusation des magistrats. Mais selon Me Séverin Walisinga, cette disposition est inapplicable dans le cas présent :
« Cet article concerne uniquement les magistrats du siège, c’est-à-dire les juges. Les magistrats du parquet, comme le Procureur Général près la Cour de Cassation, relèvent d’un autre régime, placé sous hiérarchie. Ils ne peuvent être récusés par une partie au procès. »
Des magistrats du parquet à l’abri d’une récusation ?
« Juridiquement, il n’existe aucune base qui permet à une partie au procès de récuser un magistrat du parquet. En cas de doute sur son impartialité, seul son supérieur hiérarchique peut décider de son remplacement », poursuit l’avocat. Cette précision de Me Walisinga remet directement en cause la recevabilité même de la requête du Ministre Constant Mutamba.
Une stratégie de blocage ?
À la lumière de cette analyse, l’avocat n’exclut pas que cette démarche soit motivée par des raisons extra-juridiques :
« Tout porte à croire qu’il s’agit d’une manœuvre dilatoire. La démarche ne s’appuie sur aucun fondement légal solide. Elle semble plutôt destinée à ralentir, voire à entraver, le cours de la justice. »
Vers une « justice sur mesure » ?
Enfin, Me Séverin s’interroge sur l’objectif réel d’une telle requête :
« La Cour de Cassation étant une juridiction de dernier rang, on peut se demander si le Ministre ne cherche pas à créer, en quelque sorte, sa propre juridiction, où son affaire serait instruite à sa convenance. »
Pour clore, l’analyse de Me Séverin Walisinga est claire : la demande de récusation du Ministre Mutamba est juridiquement infondée.
L’article invoqué ne s’applique pas aux auxiliaires magistrats du parquet, et la procédure suivie est entachée de plusieurs irrégularités. Une situation qui soulève une nouvelle fois la question de l’indépendance de la Justice et de la tentation, pour certains acteurs publics, de la contourner lorsqu’elle les concerne personnellement.
Akim Kakimosiko