Au début du mois d’octobre 2024, la Première Ministre du gouvernement congolais, Madame Judith Suminwa Tuluka avait signé avec le Ministre d’État, Ministre du
portefeuille, Monsieur Jean-Lucien Bussa Tongba, le décret n° 24/0B/du 03 octobre
2024 modifiant et complétant le décret n° 13/056 du 13 décembre 2013 portant
statut des mandataires publics dans les établissements publics tel que modifié et
complété par le décret n° 23/14B du 12 avril 2023. Et dans la foulée, le Ministre d’État
en charge du portefeuille de l’État congolais a initié, du 09 au 13 décembre 2024, la
tenue des états généraux des entreprises du Portefeuille de l’État. C’est cette
dynamique lancée par le gouvernement congolais qui nous pousse à apporter notre
pierre à l’édifice au regard de notre large expérience de recherche et de consultance
internationale en quête des solutions aux problèmes de gestion des African State
Owned Enterprises.
L’objet de cette réflexion est d’effectuer un diagnostic exhaustif et
sans complaisance des causes profondes qui minent la gouvernance des entreprises
du portefeuille de la RDC.
1.
Qu’entend-t-on par entreprises du portefeuille en RDC ?
Avant toute chose, circonscrivons notre réflexion en cherchant à savoir ce qu’on
entend par « Entreprises du portefeuille » en RDC. C’est le fondement de toutes pistes
de recherche de solutions. Car dit-on, pour analyser la performance d’une entreprise,
quelle qu’elle soit, il est primordial de définir la mission ou du moins les objectifs qui
lui sont assignés.
En effet, le décret numéro 09/12 du 24 avril 2009 établit la liste des entreprises
publiques transformées en sociétés commerciales, établissements publics et services
publics. Posons-nous la question de la représentation sémantique de ces trois
concepts utilisés dans ce décret à savoir : entreprises publiques – établissements
publics – services publics.
Le fait de transformé une entreprise publique en une société commerciale lui enlève-telle le statut d’une entreprise publique ? La réponse est non. Car, quand on cherche à
définir ce concept d’entreprise publique, que ça soit dans les pays développés que
dans les pays en développement, on se réfère aux critères tels que la nature juridique,
la proportion des apports financiers de l’État, l’origine des instituions, les activités
dont elles s’occupent, les motifs de leur création, le contrôle des activités, etc.
En nous
référant à ces critères, la réforme entreprise en 2008 en RDC relative à la transformation des entreprises publiques, n’est pas de nature à concilier les scientifiques sur ce concept.
Partant de cette clarification prise comme postulat, on peut retenir que :
Une entreprise publique transformée en société commerciale en poursuivant
un objectif de lucre reste, néanmoins, une entreprise publique en tant que
service public marchand. Les missions de service public (intérêt général) sont
définies par l’État ;
–
Un établissement public et un service public constituent respectivement des
services publics marchands ou non marchands qui poursuivent de manière
explicite une mission d’intérêt général conformément à l’article 9 de
l’ordonnance loi n° 08/007 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales
relatives à la transformation des entreprises publiques.
Cette longue clarification n’est pas dépourvue de tout sens car elle oriente le
raisonnement à tenir sur la performance attendue de chaque entreprise du
portefeuille et de sa contribution au développement socio-économique du pays.
2.
Quels sont les problèmes de gouvernance de ces entreprises ?
En dépit de nuances et de différences découlant de leur cadre légal, toutes ces
entreprises du portefeuille de la RDC rencontrent des sérieux problèmes de gestion
que nous résumons en quelques principaux points :
(i) Contradictions dans les missions assignées aux entreprises_
Le manque de clarté des objectifs assignés à ces entreprises, ou même la
contradiction des objectifs fixés rendent difficile, sinon impossible l’établissement des critères de performance afin que les parts de responsabilités soient facilement établies et que les sanctions soient
clairement prévues et perçues de tous sans ambiguïté. Car, en plus de leurs
missions spécifiques, les entreprises du portefeuille accomplissent des
obligations d’intérêt général, appelées «Obligations de service public». C’est
ainsi qu’au-delà de l’activité d’exploitation, elles sont soumises à un certain
nombre des contraintes comme par exemple l’homologation du tarif ou
l’exercice de certaines activités pour des raisons stratégiques. C’est le cas de la
REGIDESO, SNEL, TRANSCO, etc. Malheureusement, les subventions
d’exploitation censées compenser ces charges ne sont pas toujours versées
et ces entreprises se trouvent dans une situation de déficit chronique les
plaçant dans un déséquilibre permanent de gestion.
*(ii) Relation verticale entre l’État et la gouvernance des entreprises du *_portefeuille_*
La relation verticale entre les mandataires publics (actifs et non actifs) et l’État
propriétaire est certainement l’un des problèmes les plus complexes des entreprises du portefeuille en RDC. Il s’agit d’une relation de soumission et de
dépendance. Non seulement, les mandataires sont nommés par l’État
propriétaire, ils sont aussi révoqués par lui.
De ce fait, les initiatives et les
décisions opérationnelles et stratégiques des mandataires publics sont
régulièrement soumises à l’arbitrage de l’État. Les mandataires publics reçoivent
de multiples injonctions appelées par euphémisme «lignes directrices»
parfois contradictoires émanant de plusieurs institutions : Présidence de la
République, Ministère de tutelle, Ministère technique, Parlement, etc, qui
fragilisent les initiatives des gestionnaires.
(iii) Intervention permanente des pouvoirs publics dans les organes de gestion_
Les textes qui régissent ces entreprises leur consacrent le principe de
l’autonomie de gestion. La portée de ce principe d’autonomie est sensiblement
réduite par les multiples interventions des pouvoirs publics dans les organes
que dans l’exercice des compétences. L’ingérence de l’État se poursuit jusque
dans la gestion courante de l’entreprise du portefeuille. Il dicte à qui l’entreprise
doit conclure un marché sans respect aucun de la réglementation liée à la
passation des marchés publics. Il en résulte des surcoûts engendrés par la
non-compétitivité. L’État définit à qui les services doivent être vendus à crédits
même si les créances ne sont pas recouvrées, sans qu’il ne se soucie des
conséquences que de telles décisions peuvent avoir sur l’équilibre de gestion
et la trésorerie de l’entreprise. C’est la situation de la majorité des entreprises
du portefeuille qui détiennent des créances colossales auprès des institutions
étatiques et sans espoir de les recouvrer.
(iv) Choix des animateurs des entreprises du portefeuille
Très souvent, les entreprises du portefeuille sont considérées comme un
« instrument » utilisé pour récompenser les partis politiques qui ont contribué
à la réussite du «Pouvoir».
De ce fait, elles sont vues comme un « gâteau » à
partager aux membres des partis politiques des Vainqueurs. Ces nominations
se font en grande partie sur le critère de fidélité aux partis politiques sans
aucun regard sur la compétence. C’est ainsi qu’on trouve comme Président du
conseil d’administration et administrateurs externes, dans la plupart des cas,
des animateurs qui n’ont aucune expérience du secteur et voir parfois aucune
technicité pour mieux appréhender les problèmes. Cette question du choix des
animateurs est aussi vrai pour les membres de comité de gestion de ces
entreprises du portefeuille. Dans ces conditions, on ne peut pas s’attendre à
des résultats prometteurs de ces dernières.
(v) Absence de contrôle efficace
Très souvent, ceux qui ont la fonction de contrôle se trouvent eux-mêmes dans
la fonction de gestion. C’est le cas des députés qui sont nommés président du
conseil d’administration ou administrateur externe dans un conseil d’administration. Ils sont à la fois juge et parti. Mieux encore, la qualité du contrôle pose problème. Qui contrôle qui ? Inspection Générale des Finances,
Cours de compte, Parlement, contrôle du Ministère de tutelle, contrôle du
Ministère technique. L’excès de contrôle affaiblit le contrôle.
Par ailleurs, quelle
est la compétence du contrôleur ? Ce dernier, très souvent, voit la performance
de l’entreprise en termes réducteurs de rentabilité financière. Sous-jacente à ce
problème, est la question du but visé par le contrôle particulièrement en RDC :
le contrôleur en réalité ne vient pas pour le contrôle mais plutôt pour se remplir
les poches en contrepartie d’un rapport fantaisiste. Très souvent, le contrôle ne
se fait pas à l’aune du contrat-plan moins encore au regard des missions
assignées à l’entreprise du portefeuille. L’inefficacité du contrôle et le manque
de sanction contribue en l’affaiblissement de la qualité de gestion.
(vi) Pléthore de l’effectif de personnel_
A chaque nomination de nouveaux dirigeants des entreprises du portefeuille,
il y a toujours embauche du personnel sans se préoccuper du budget moins
encore des tâches que les nouveaux venus doivent accomplir. Et comme le
changement des animateurs de ces entreprises est récurrent, on assiste
aujourd’hui à une pléthore de l’effectif de ces entreprises. Quoi qu’il en soit,
quelles que soient les raisons évoquées pour justifier la pléthore du personnel,
cela va largement au-delà de l’amélioration de la productivité bien au contraire,
ce phénomène contribue à la destruction de la culture d’entreprise et de
surcroît à la compétitivité de l’entreprise.
3.
Redynamisation de la gouvernance des entreprises du portefeuille
Gestion fondée sur une relation horizontale
Même en transformant une entreprise publique en une société commerciale,
l’expérience au niveau international a montré que l’État n’a jamais été un bon
gestionnaire à cause de la relation verticale qui le lie avec ses mandataires publics.
Pour redynamiser ces entreprises de manière à ce qu’elles contribuent efficacement à
la croissance économique et qu’elles améliorent la qualité de service fourni, il est
clairement établi qu’elles doivent recourir aux partenariats publics-privés (PPP) et à
l’économie mixte qui constituent des alternatives aux financements publics. Le cas de
Pullman Grand Hôtel du Congo est un bel exemple de redressement d’une entreprise
du portefeuille après qu’il soit passé en économie mixte.
En effet, en libérant la puissance publique de son rôle d’opérateur, le PPP – dans la
mesure du possible – une concession d’exploitation ou un contrat de gestion par
exemple – lui permet de se recentrer sur ses missions de services publics régaliens.
Et surtout, cela constitue un appui considérable pour l’État en lui permettant de libérer
des ressources financières pour les services publics pour lesquels le recours au
partenariat n’est pas ou est peu possible. Il est évident que l’État peut toujours garder une mainmise pour assurer sa mission d’intérêt général.
Dans le cas des entreprises en réseaux comme c’est le cas des transport, distribution
d’eau, électricité, poste et télécommunications, etc. qui ont des charges fixes
importantes et dont l’activité se réalise dans la phase des rendements croissants, de
réforme efficace existe. Il suffit de s’imprégner de l’expériences des autres pays
africains comme le Maroc, le Sénégal, L’Éthiopie, le Botswana, etc. qui ont mené des
réformes dans ce sens.
En effet, comme ces entreprises se trouvent sur un
marché de monopole, une désintégration verticale des activités, en déréglementant le
marché et en encourageant la libéralisation du secteur, permet de répartir entre
pouvoirs publics et privés les activités de l’entreprise en dissociant la production – de
la transformation et de la distribution. Grâce à la mise en œuvre par l’opérateur privé,
soumis aux disciplines de gestion du secteur privé, en développant une relation
horizontale avec les mandataires, la gestion est de type résolument commercial de
l’activité, orientée vers la satisfaction des besoins du marché, le PPP permet à l’exploitation d’accroître son efficacité.
Efficacité de Gouvernance publique
La problématique de gestion telle qu’elle est posée pour les entreprises publiques
transformées en sociétés commerciales est identique à celle des établissements
publics et services publics. Cependant, lorsque l’État ne trouve pas facilement des
opérateurs privés comme partenaires de PPP ou dans le cadre d’une économie mixte,
la rigueur de la gestion des établissements publics implique que l’État ne puisse pas
tomber dans la complaisance, le « politicisme » et le « clientélisme » des partis politiques
pour faire le choix des mandataires publics. Car, contrairement à ce qu’on entend en
RDC qu’il manque d’hommes compétents, nous sommes plutôt convaincus du
contraire. Ce ne sont pas les hommes qui manquent, mais plutôt le choix des
hommes qui pose problème.
C’est au prix de la rigueur dans le choix des animateurs et le contrôle sans
complaisance de contrat-plan élaboré que les entreprises du portefeuille peuvent
contribuer au développement socio-économique de la RDC.
Dans ce contexte, le décret n° 24/0B/ du 03 octobre 2024 modifiant et complétant le
décret n° 13/056 du 13 décembre 2013 portant statut des mandataires publics dans
les établissements publics tel que modifié et complété par décret n° 23/14B du 12
avril 2023 constitue une réforme courageuse. En effet, le conseil d’administration
demeure le principal dispositif de gouvernance des entreprises du portefeuille. De ce
fait, doivent être nommés comme Président du conseil d’administration et
administrateurs externes, des vertébrés dont l’expérience dans le secteur est
notoirement connue. Ces acteurs ne viennent pas chercher du travail, cela suppose
qu’ils ont leurs activités dans le secteur. Il n’est pas question de commencer à payer
encore des émoluments aux administrateurs externes. Ils doivent se contenter de jetons de présence aux réunions pour lesquelles l’entreprise a besoin de leurs
expertises et orientations pour la prise des décisions stratégiques.
Par définition, un
administrateur externe jouit de son indépendance d’esprit et de fait. Celle-ci est
renforcée par son expérience qui lui a conféré déjà une aisance matérielle et une
dignité qu’il tient à sauvegarder.
Pour ce qui concerne les membres du comité de gestion, au-delà du choix sans
complaisance des animateurs, des contrats-plans détaillés et clairs avec des
objectifs précis doivent être élaborés. Les missions de services publics assignées à
ces entreprises doivent être connues et l’État doit devoir les assumer en versant des subventions d’investissement ou des subventions d’exploitation pour les obligations
de services publics qu’il impose à ses entreprises.
Enfin, la formation continue très souvent négligée dans la gestion tant stratégique
qu’opérationnelle dans les entreprises du portefeuille en RDC. Le monde bouge et
s’accompagne de beaucoup de changements notamment dans les méthodes de
gestion financière et organisationnelle. Quelle que soit la qualification académique
des mandataires, il est crucial et judicieux qu’ils s’imprègnent des notions de finance,
d’organisation et de gestion des ressources humaines en vue de se familiariser avec
les états financiers, les techniques de gestion des ressources humaines et maîtriser le
langage financier et psychologique de l’entreprise. En outre, du fait que chaque
secteur a ses propres spécificités en matière de gestion, il est nécessaire que les
animateurs du conseil d’administration et du comité de gestion participent
régulièrement aux workshop et au recyclage. C’est le prix à payer pour redynamiser la
gestion stratégique et opérationnelle des entreprises qu’il s’agisse du secteur public
ou privé.