RDC – ESU : Prolifération des formations doctorales en RDC. Quelle qualité pour quels enjeux ?(Tribune du Pr Augustin Mbangala Mapapa)

La dégringolade du tissu éducationnel à tous les niveaux en RDC n’est plus un scoop. Ce secteur vital pour toute nation qui se veut sérieuse a fait une mutation vers le statut de parent pauvre au pays de Valentin Mudimbe. Ce qui explique la production intempestive des diplômés en lieu et place de véritables intellectuels à même d’apporter des solutions aux problèmes de leur société. Les universités dans ce pays, poussant comme des champignons par-ci par-là, sans un seul regard rigoureux aussi bien sur leur viabilité que leur fiabilité, ressemblent de plus en plus à des usines de production de voitures sans moteur.

La formation doctorale, ce qui est considéré comme le graal de tout cursus universitaire, semble ne pas être en reste. Ce top Level qui ne devait pas être un apanage de tous, paraît avoir laissé libre court à cette bombe à destruction massive que sont le relativisme et le laxisme en RDC.

Eu égard à cet état des choses, certaines intelligences, scientifiques et hauts intellectuels de la société congolaise n’ont pas hésité à bouger leurs cervelles afin d’approfondir cette question relative à la prolifération de la formation doctorale en RDC. Le Professeur Augustin Mbangala Mapapa est l’un de ceux qui ont profondément mené leurs réflexions sur l’état des lieux de cette question dont l’importance capitale résiste à tous les assauts du doute.

Qui est le Professeur Augustin Mbangala Mapapa ?

Enseignant de carrière et scientifique de haute portée, le Pr Mbangala Mapapa est de nationalité congolaise. Docteur ès Sciences de gestion de l’Université de Liège où il a enseigné pendant près de vingt ans et dirigé des thèses doctorales. Professeur ordinaire, il mène ses recherches en comptabilité, finance d’entreprise et économie de grandes infrastructures domaines dans lesquels il a publié de nombreux articles dans des revues scientifiques internationales classées. De renommée internationale, Il a coordonné, pendant plusieurs années, le programme doctoral à la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin où il a contribué à la formation de plusieurs docteurs, devenus des Professeurs agrégés. Il a contribué aussi à l’implantation des systèmes LMD dans plusieurs institutions universitaires africaines.

État des lieux des formations doctorales

A en croire le Pr Mbangala, depuis que le système LMD a été rendu opérationnel en RDC en 2022, on assiste à la prolifération des formations doctorales. Ces dernières sont organisées presque partout dans des universités publiques et privées et dans des instituts supérieurs pédagogiques et techniques congolais en foulant au pied cette prestigieuse formation. Dans le milieu scientifique congolais et ailleurs, des voix s’élèvent de plus en plus pour fustiger ce qui se passe à savoir : la production des docteurs (Ph D) à la queue leu leu avec des formations doctorales bidons qui jettent en pâture tout le système éducatif du supérieur.

En effet, poursuit l’ancien directeur général de l’ISC-Kinshasa actuel HEC-Kinshasa (1995-2022), si la formation de licence et de maîtrise consistent en l’acquisition d’une large palette de compétences et savoirs, la formation doctorale permet, pour ainsi dire, de développer d’autres aptitudes, celles de questionner les faits de manière à faire émerger de nouveaux concepts. C’est pour cette raison que le diplôme de doctorat constitue, sur le plan international, une référence clef et a une valeur universelle que ne partagent pas les autres diplômes. Le troisième cycle doctoral sanctionnant le diplôme le plus élevé renvoie à la perception de la recherche scientifique et du système d’enseignement supérieur et universitaire de toute une nation. A ce titre, il est le prisme de la recherche scientifique de l’environnement qui l’a produit comme le soulignent Angelier et Bitard (2023).

A la base de ces maux, Mbangala Mapapa dégage, tout au moins, trois constats :

La mauvaise compréhension du concept « LMD » qui fait entrevoir que dans son application en RDC tous les trois cycles (licence, maîtrise, doctorat) doivent être organisés dans presque tous les établissements ;
La transformation, sans aucun fondement, de certains établissements d’enseignement supérieur à des « Écoles » dans le seul but de promouvoir la formation doctorale conformément à la loi-cadre ;
Certaines institutions, dans le but d’organiser ce troisième cycle, tirent la ficelle en vue d’avoir des partenaires étrangers dont certains ne méritent aucun éloge comparés aux universités locales congolaises ;
Face à l’appât du gain, certaines institutions publiques et privées d’enseignement supérieur et universitaires se permettent de valider des recherches doctorales sans aucune éthique et voire compétence, sans se soucier des conséquences néfastes futures que leurs actes engendreront, a insisté l’éminent Professeur Augustin Mbangala Mapapa.

Quelles recommandations formulées ?

Après avoir saisi cette problématique, tel un taureau, par les cornes, le Professeur Mbangala, avec sa large expérience internationale de l’enseignement universitaire, ne s’est nullement lésiné à faire des recommandations comme dans chacune de ses réflexions. Pour lui, il est temps qu’une réforme profonde soit entreprise pour que le monde entier ne jette pas de l’opprobre sur tout le système d’enseignement supérieur et universitaire de la RDC. Quelques pistes de réflexions :

En 2015, renchérit-il, le Professeur Théophile Mbemba, alors Ministre de l’Enseignement Supérieur et Universitaire, avait initié un symposium sur la problématique des formations de 3ème cycle qui avait abouti à la signature d’un décret portant critérium sur les études de troisième cycle en RDC. Cet excellent décret doit servir de base à une profonde réflexion sur la refondation du programme doctoral afin de limiter le dégât causé par certaines initiatives prises par le Ministre de l’ESU en la matière en 2022 ;
La RDC est membre effectif du CAMES (Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur). Pourtant, conformément au règlement du CAMES, pense le Pr Mbangala, aucun pays membre de cette institution n’autorise, sauf erreur, l’organisation de formation doctorale aux instituts supérieurs pédagogiques et techniques à qui on a confié la vocation de formation professionnelle ; moins encore à des universités privées (sauf celles dont le sérieux et la notoriété sont indiscutables) ;
Dans l’espace CAMES, le diplôme de doctorat ne donne pas directement droit au grade de Professeur. Tout docteur obtient d’abord le grade de Maître-assistant ou chargé de cours. Il est admis au concours, après deux années au moins d’ancienneté dès l’obtention de son doctorat, au grade de Maître de conférences agrégé. Le dépôt du dossier exige que le candidat remplisse les critères de recevabilité du dossier dont notamment les publications d’au moins trois articles dans des revues scientifiques classées nommément identifiées par le collège des universités et rangées en rang 1, 2 et 3. Malheureusement, ce n’est pas le cas en RDC où une fois le doctorat en poche, dans les six mois, on devient Professeur ;
La transformation d’un Établissement d’enseignement supérieur en une École, en l’absence d’une culture scientifique solide et prouvée constitue un danger pour la science. Car, enchaîne le Pr Mbangala, on ne fait pas du neuf avec du vieux, c’est-à-dire tant que la fondation (base) de l’Établissement n’est pas solide, il est absurde de chercher à atteindre le sommet avec le risque de l’effondrement. Il y a lieu de créer effectivement des Écoles autonomes insufflant une nouvelle culture scientifique et autour de laquelle les institutions pédagogiques et techniques d’enseignement supérieur peuvent s’agripper pour la formation doctorale professionnelle et scientifique constituant ainsi un réseau efficace. Et généralement, martèle-t-il, les Écoles sont affiliées à des Universités locales ou étrangères dont la notoriété scientifique est légendaire ;
Les études doctorales ne peuvent, en aucun cas, être considérées comme une formation de masse comme nous le vivons présentement en RDC dans certaines institutions d’enseignement supérieur et universitaires exhorte ce produit de l’université de Liège. Car, les recherches doctorales sont éprouvantes et demandent un investissement considérable tant pour le doctorant que pour les encadrants ;
Afin de réduire le risque de compromission et de relations d’agence, pense ce professeur de renommée internationale, un décret du Premier Ministre doit interdire aux membres du gouvernement de suivre une formation doctorale pendant l’exercice de leur fonction. Cela vaut autant pour tout autre poste politique d’influence ;
Enfin, le doctorat n’étant pas un travail solitaire, alerte Augustin Mbangala, il repose sur un collectif . Par conséquent, il doit se faire accompagner d’un promoteur ou directeur de thèse capable d’accomplir cette tâche. Voilà pourquoi, dans des universités françaises et dans celles de la plupart des pays du CAMES, des critères d’éligibilité sont définis pour diriger une thèse de doctorat. Le critère le plus important est celui de publication scientifique. Car, on ne peut prétendre diriger une thèse de doctorat quand, en tant que professeur, on n’a jamais publié, au moins trois à quatre articles dans des revues scientifiques classées de notoriété. C’est cela la garantie que le promoteur a acquis lui-même une expérience solide dans la recherche scientifique ;
Enfin, afin de lutter contre ce qu’il qualifie de « mentalité déviante », le Pr Mbangala recommande d’organiser des structures universitaires divisées en domaines de recherche appelées « Écoles doctorales interuniversitaires ». Par exemple, on organiserait une école doctorale en économie et gestion qui regrouperait les facultés des sciences économiques et de gestion de plusieurs universités, écoles et instituts supérieurs qui évoluent dans ce domaine. Une telle structure constituerait un garde-fou. Une commission ad hoc sera régulièrement mise en place pour valider les inscriptions au doctorat ainsi que les professeurs habilités à diriger des recherches doctorales. Cette structure limiterait, estime-t-il, quelle que peu, la complaisance et la compromission érigées en antivaleurs dans le milieu scientifique congolais. Car, c’est cette inconscience qui est à la base de la destruction de notre beau pays dans tous les secteurs, conclut le Professeur ordinaire, Augustin Mbangala Mapapa.

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